dimanche 1 février 2015

Le Cerro Torre

Le Cerro Torre

Pour tous les grimpeurs, amoureux de grandes courses mixtes et glaciaires, cette magnifique flèche de granit, couronnée d’une meringue impressionnante, exerce une attirance captivante!





En effet, son esthétique, sa difficulté, son histoire en font un objectif qui tient du rêve… Du rêve, bien souvent, car localisé en Patagonie, sur la frontière entre l’Argentine et le Chili, les conditions nécessaires à sa réalisation sont bien compliquées à réunir. La météo changeante, c’est peu dire, et surtout le fort vent d’ouest, en permanence présent dans cette région, font que les créneaux où l’on peut s’approcher de cette montagne sont très rares. Quelquefois 3 ou 4 jours dans la saison, quelques fois jamais… 

Il faudra donc être très opportuniste ou très chanceux, ou les deux, pour espérer fouler cette meringue géante! 

En tout cas, se rendre à Chalten, petit village situé au pied du Fitz Roy, autre monument de la Patagonie, en ayant pour unique objectif le Cerro Torre semble aléatoire, le risque étant de ne pas voir plus loin que le décor de la « cervezeria » ou de la « vineteria » !!!

C’est donc dans cette esprit, c’est à dire en ayant aucun objectif, ou plutôt, un seul, de monter au moins une fois sur une des sommets que nous débarquons à Chalten, le 18 novembre.  Nous retrouvons mes 2 amis, Pierre Labbre et Damien Tomasi. Je grimperai avec Robin Molinatti, un super pote et fort alpiniste, un maître « Yoda » !


L'équipe


Nos premières journées à Chalten se passent à prendre nos marques dans ce petit village bien agréable. Pour ne pas perdre la main et la forme, nous alternons entre footings et séances de bloc sur un super secteur autour du village. C’est d’ailleurs là, sur un talon « violent », que j’entends un « crac » marqué dans mon genou! Au bout de 10 jours, ça commence bien… Le lendemain, difficile pour moi de monter un escalier, la suite du voyage semble bien compromise. 

Quelques jours plus tard, je dois laisser partir mes 3 compères, l’âme en peine, profiter d’un petit créneau de beau temps. Ils réussiront, dans des conditions difficiles, l’ascension de la très belle aiguille Poincenot, principale satellite du Fitz Roy.


Pour ma part, c’est un peu de rééducation à base de marche tranquille et de petite séance de grimpe pour espérer pouvoir profiter d’une hypothétique fenêtre météo. Au bout de 10 jours de repos, je me sens déjà mieux, plus trop de douleur, quand à faire un effort de 4 jours, on verra bien….

Ici, « l’oracle », c’est le site NOAA, le seul qui donne des prévisions acceptables et plutôt précises. 3 fois par jours, nous attendons le bulletin, en espérant une bonne nouvelle, soit plus d’une journée de beau temps sans trop de vent!

A force de patience et d’un peu de chance, nous percevons une fenêtre de 2 belles journées pleine sans vent, le samedi et le dimanche. Le problème est que notre vol de retour est le mardi suivant, il ne va pas falloir trop se planter! Mais comme toujours, je me dis que l’opportunisme finira par payer…Reste à trouver l’objectif et ne pas se tromper. Ceux qui ont déjà eu dans les mains le nouveau topo patagonien de Rolando Garibotti, comprendront la difficulté à choisir un objectif dans ces montagnes, toutes plus belles et impressionnantes les unes que les autres!

Finalement, pour nous ce sera le Cerro Torre, par la voie des « Ragni », un rêve lointain, et pour Toto (Damien)et Pierre ce sera le mythique pilier Cassaroto au Fitz Roy. Une journée pour faire nos préparations et finioler les sacs, et c’est parti le vendredi 12 décembre pour 4 jours de montagne.

Le premier jour, bien chargés, nous montons au bivouac de Nipo Nino, 6 h de marche qui nous sortent tranquillement de l’ambiance de Chalten. On se couche, enfin on s’allonge, dans la tente et vers 23h, on est réveillé par des cris et les grimpeurs présents au bivouac. Nous partons en direction du glacier et nous retrouvons 2 grimpeurs Italiens, partis 3 jours plus tôt, en train d’errer dans les moraines, dans un sale état. Une belle entraide entre tous les grimpeurs présents, de toute nationalités, nous permet de ramener tant bien que mal les blessés au camp, de les nourrir, les hydrater et de les coucher au chaud. Grâce au téléphone satellite, les « Guardaparques", qui s’occupent du secours dans le massif, sont prévenus. Une caravane terrestre de 30 bénévoles sera envoyée le lendemain pour ramener, à dos d’homme, les 2 italiens! A ce moment, on se dit qu’on vraiment de la chance chez nous, de pouvoir compter sur des secours compétents, rapides et gratuits!





Mais trêve de réflexion, il est déjà 2 h du matin, l’heure de décoller pour nous! Une nuit blanche pour commencer, tout va bien…
Nous marchons en direction du col Standhardt, qui va nous permettre de basculer, coté Ouest, coté Hielo patagonico. Quelques rappels et un peu de descente et nous voila remontant en direction du col de la Conquista. 2 longueurs de mixtes pas si facile nous posent sur le glacier suspendu que nous remontons tranquillement. Il commence à faire chaud, il est 13h, déjà 11h de marche et 2200 m de dénivelé, nous décidons de nous arrêter là pour aujourd’hui.





Demain, normalement, c’est le jour du sommet! Enfin, demain, ce soir plutôt, car nous prévoyons de partir à minuit. 

Minuit donc, départ, nous avalons rapidement les 200m qui nous séparent du col puis nous enchainons, corde tendue, les pentes au dessus jusqu’à la première difficulté, « l’Elmo », le « casque », gros champignons de neige qui peut poser pas mal de souci. Nous suivons des traces d’autres cordée, venus bivouaquer plus haut que nous la veille, et par chance, cette année, un petit mur de glace et un court tunnel nous permet de passer. Un traversée d’arête et quelques pas de mixte plus ou moins facile, nous voila au pied du headwall. En fait, c’est une longueurs de glace de 40 m à 90°, un bon 5+ bien lisse, pas très agréable à grimper mais facilement protégeante.




Il est 8h du matin et il nous reste donc les 3 champignons sommitaux, on se dit que ça devrait faire…
Le premier se passe pas mal, le deuxième est hallucinant!!! On grimpe dans un tube de 40 m de haut, pas très raide et avec de la glace au fond, au milieu de ce champignon juste avant de débarquer au pied de la longueur sommitale. Nous avons rattrapé les 2 cordées devant nous et le premier grimpeur est en train d’en découdre. 10 m de neige raide dans un demi-tube, puis un mur de glace pour finalement sortir dans un autre tunnel. Simplement incroyable! Nous attendrons 2H30 au pied de la longueur pour que les premières cordées grimpent et nous organiserons une "méga flèche" pour que tout le monde, derrière nous, puissent avoir la chance et le temps d'aller au sommet! En effet, on se rend compte que l’une des difficultés de l’Andinisme en Patagonie va être de gérer la surfréquentation les rares jours de beaux temps!


L e tunnel


La dernière longueur


Pour nous ça se déroule bien et nous voila à 12h au sommet de cette montagne rêvée. C’est un grand moment pour tout les deux, un de ceux qui sont rares dans une vie de grimpeurs…




Il nous reste quand même la descente, un gros morceau. Finalement, les rappels sur lunules et pieux à neige s'enchaînent bien et, même si nous restons bien concentrés, nous retrouvons les affaires à 18h. On se fait de l’eau, on mange un peu et on se motive pour descendre sur le plateau du Hielo pour raccourcir le chemin du lendemain. On se couche en vrac sur des cailloux à 21h. 



Nous avons fait le choix de rentrer par le Passo Marconi, 45 km de marche à plat mais sans difficultés. Il faut juste que la neige porte sur les 15 km de glacier plat… Réveil donc à 4h pour mettre toutes les chances de notre coté. C’est encore pas ce soir qu’on fera une longue nuit! Premier pas à 5h, l’enfer, aucun regel. Avec le vent et la chaleur, la neige est pourrie, on enfonce jusqu’au mollet. Et c’est parti pour un bonne séance de « peine »… Heureusement au bout d’un moment, on est rejoint par 2 américains qui nous aiderons à faire la trace dans cet enfer blanc. 6h30 au lieu de 3h pour rejoindre ce fameux col et bientôt sortir de ce glacier de malheur! 




A 17H30, après 13h de marche "non stop", nous rejoignons la route, signant ainsi la fin de notre aventure.
Nous retrouvons nos amis à Chalten et malgré les réussites de tout le monde et les sourires scotchés aux lèvres, nous auront du mal à faire la fête cette fois-ci...

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